Avec la disparition de Henri Lopes, le 2 novembre 2023, à l’Hôpital de Suresnes, dans les Hauts de Seine, en France, lui que l’on considère comme une des figures marquantes de la littérature congolaise et francophone, c’est un cycle qui s’est refermé.
C’est toute une génération d’écrivains organisés en véritable Fratrie de Plume dont la littérature était une respiration profonde, sorte d’exorcisme, qui se termine. Une Fratrie solidaire qui a favorisé, entre les années soixante et quatre vingt, l’éclosion d’une création littéraire profuse, vivante, solide et respectée, en raison de la qualité des œuvres produites.
La valeur du corpus littéraire crée par ces » séquestrés de la nuit, otage du jour » était telle que Léopold Sedar Senghor et Aimé Césaire ne s’y trompèrent guère, saluant, en visionnaires, le génie en gestation d’un Tchicaya U Tam’si.
Cette création littéraire a suscité des vocations, chez la jeune génération, des cadets de la pléiade d’écrivains congolais dont Alain Mabanckou est aujourd’hui, incontestablement, le chef de file, par ses nombreux ouvrages, traduits dans une quinzaine de langues, touchant aussi bien au domaine de la poésie, du récit autobiographique qu’au roman. Ce qui lui vaut de nombreux Prix.
Les Frères de Plume de Henri Lopes s’appelaient Tchicaya U Tam’si, Tati Loutard, Sony Labou Tansi, Antoine Letembet-Ambily, Sylvain Bemba, Emmanuel Dongala, Dominique Ngoï-Ngalla, pour ne citer que ces noms. Des noms semblables à des pièces bigarrées d’un habit d’Arlequin, habit de lumière qui disait toute l’ouverture d’esprit et le sens de l’autre d’un homme, au dessus de toute considération tribale.
Dès lors qu’un membre de la Fratrie de la Plume avait le moindre souci, tous, tel un seul homme, lui volaient au secours afin qu’il ne dépérisse point. Là où Georges Brassens, dans sa chanson éponyme, voyait « Les Copains D’abord », eux n’y voyaient que Les Frères de Plume, d’abord.
Henri Lopes que j’appelais, avec affection, Ya Henri, avait ce mystérieux côté solitaire et créatif, pareil à celui d’un Fernando Pessoa, dont on lui reconnaissait une certaine admiration. Côté solitaire et créatif qui s’est créé, au delà de ses études primaires à Brazzaville et Bangui, entre Paris et Nantes, lorsqu’il fait son entrée dans l’âge adulte. Après Nantes, c’est à la prestigieuse Université de la Sorbonne que Henri Lopes poursuivra ses études, dans le but de devenir Professeur d’Histoire, l’histoire étant, avec la littérature, sa grande passion. Ce fut le temps de l’engagement associatif, celui de la contestation face au mouvement de la Négritude dont il fit une critique, sans complaisance, mais sans la virulence d’un Stanislas Spero Adotevi. Henri Lopes avait, au demeurant, eu l’occasion de clarifier sa position sur ce qui fut longtemps considéré comme une marque d’effronterie, face au tutélaire Leopold Sédar Senghor.
De retour au Congo Brazzaville, son pays, après son cycle d’études supérieures, Henri Lopes exerce en tant que Professeur d’Histoire à l’École Normale Supérieure d’Afrique Centrale, à Brazzaville, sous la direction du Professeur Michel Hausser, jusqu’en 1966, avant de prendre la Direction Générale de l’Enseignement. Période pendant laquelle, Henri Lopes jouera un rôle capital dans la diffusion et la vulgarisation des civilisations et des cultures du Monde Noir. Et, c’est grâce à lui que la littérature africaine fut introduite au programme dans le système éducatif congolais. Les jeunes élèves congolais auront alors au programme les oeuvres d’Amadou Hampâté Bâ, dont « L’étrange destin de Wangrin », « L’aventure Ambiguë » de Cheikh Hamidou Kane, « Les Bouts de bois de Dieu » d’Ousmane Sembène, « La tragédie du roi Christophe » d’Aimé Césaire, au même titre que les oeuvres de William Shakespeare, de Sophocle, de Corneille, de Molière, de Racine ou de Jean Anouilh.
Tout ceci, mis bout à bout, de Henri Lopes, on retiendra une plume érudite et alerte dont le génie créateur trouve son acmé dans Le « Pleurer-rire », paru en 1982, aux Editions Présence Africaine. Un roman aux accents et à l’écriture qui rappellent le carnavalesque de Michel de Montaigne. La langue y est exubérante et le burlesque omniprésent. Le titre oxymore – « Le Pleurer-rire » signifie le bon et le mauvais, l’envers et l’endroit. Il fait référence au « mentir-vrai: d’Aragon dont il était un grand lecteur. Le roman est un véritable pamphlet contre la mauvaise gestion du pouvoir par les dictateurs africains.
Henri Lopes, c’est aussi une grande acceptation de la qualité de sa production littéraire qui fut couronnée par de nombreux prix littéraires prestigieux. Il est lauréat du Grand Prix Littéraire de l’Afrique Noire. Lauréat de l’Association des Ecrivains de Langue Française pour son livre « Tribaliques », en 1972. En 1993, l’Académie Française lui décerne le Grand Prix de la Francophonie. La même année, il devient Docteur Honoris Causa de l’Université de Paris XII. Et, en 2002, titre identique de l’Université de Québec, au Canada.
Un beau parcours qui met en lumière une belle ligne de vie littéraire. La vie d’une grande âme, un homme affable, d’une curiosité intellectuelle insatiable, qui savait allier l’élégance du verbe et l’élégance tout court.
Pendant plusieurs années, je suis demeuré, très proche de Ya Henri, jusqu’à ses derniers jours. Nous ne partagions pas, sur certains points, les mêmes opinions, mais, de part et d’autre, l’effort de compréhension réciproque était fait pour que rien ne nous sépare, et pour privilégier une entente efficace et harmonieuse. J’étais le petit frère. Lui l’aîné. Sur les terres des Pays de Gamboma, nos terres communes par nos deux Mères, le frère aîné doit être respecté par tous ses frères et soeurs, lui devant de grands égards, faire preuve de déférence envers lui.
Pour l’attachement que Ya Henri et moi avions l’un pour l’autre, il a été l’une des dernières personnes, en compagnie de Maman Christine, son épouse, et de mon cousin, M. Narcisse Christian Ellaud, à rendre visite à Brazzaville, à ma Mère, Joséphine Akouala, quelques jours avant sa mort, le 5 mars 2020. La visite a eu lieu à une période où, pour des raisons personnelles, je redoutais de me rendre au Congo Brazzaville, laissant mourir ma mère, les larmes aux yeux, faute de n’avoir pu communiquer ses dernières volontés à son premier fils que je suis.
Baptiser une avenue en l’honneur d’une personnalité est une belle manière de préserver sa mémoire et de lui rendre hommage. Au lendemain du décès du Premier Ministre congolais Henri Lopes, j’ai proposé, par écrit, que l’Avenue partant de l’entrée principale du Centre Hospitalier Universitaire de Brazzaville, jusqu’au rond point du Ministère de l’Economie et des Finances, à Brazzaville, porte le nom de Henri Lopes. Une proposition, reformulée a chaque hommage que j’ai publié, en souvenir du Premier Ministre, à la date du 2 des mois suivant sa mort. Pour moi, vaut la peine la reconnaissance à l’endroit de Henri Lopes. A double titre. D’abord, il a excellé dans son travail aux différents postes qu’il a occupés pour servir son pays, pendant de longues années. Ensuite, il a vécu, longtemps, sur ladite avenue, en changeant, trois fois, de résidence, pour répondre à l’élargissement de sa famille. La procédure de baptisation est toujours en étude auprès de qui de droit. Je demeure cependant confiant.
Le temps passant, les places, les avenues et les rues des villes congolaises devraient constituer un livre de l’histoire du Pays. Derrière une avenue Henri Lopes, c’est toute la mémoire d’un grand homme qui transparait. Il aura été Professeur d’Histoire, Directeur de l’Enseignement, Ministre de l’Education Nationale, Ministre des Finances, Ministre des Affaires Étrangères , Premier Ministre, Ambassadeur Extraordinaire et Plénipotentiaire.Tout ceci, en parallèle avec sa qualité d’écrivain, de réputation internationale.
Que Ya Henri repose en paix. Nous l’aimons.
Ouabari Mariotti.
Paris 1er septembre 2024