Congo/ Romain Gardon : « En créant l’orchestre S.O.S SALSA, l’ambition était de sauver la salsa et de lui redonner ses lettres de noblesse »

INTERVIEW. Originaire de la République du Congo, Romain Gardon est un artiste musicien et auteur-compositeur aux multiples talents : pianiste, chanteur principal, arrangeur et chef d’orchestre du groupe mythique S.O.S SALSA, qu’il dirige depuis 30 ans. Romain NIMI, de son nom à l’état civil, est diplômé de l’Université Centrale de Las Villas « Marta Abreu », à Santa Clara (Cuba), titulaire d’un diplôme d’ingénieur en sciences et génie chimique. Entretien avec Pagesafrik.com et Starducongo.info.

Vous êtes le chef d’orchestre du groupe mythique S.O.S SALSA, fondé il y a 30 ans après un long séjour à Cuba.
Avant d’évoquer cette aventure musicale, pouvez-vous nous raconter ce qui vous a mené sur l’île de Cuba ?

Romain Gardon : J’ai fait partie d’un programme mis en place par le gouvernement congolais, visant à former des cadres dans divers domaines. J’ai ainsi bénéficié d’une bourse dans le cadre d’un programme de coopération entre le Congo et Cuba, destiné à une colonie d’enfants que l’on appelait alors les « pionniers ». Nous avions entre 11 et 12 ans, et avons poursuivi l’intégralité de notre scolarité à Cuba, du collège à l’université en passant par le lycée. Je suis parti en 1982 et suis rentré au pays en 1995.

Votre groupe célèbrera le 27 août prochain son 30e anniversaire. Pouvez-vous nous raconter sa genèse ?

L’orchestre S.O.S SALSA, que je dirige depuis sa création, a été fondé le 27 août 1995 à Brazzaville. Pour la petite histoire, pendant notre séjour à Cuba, nous ne disposions pas d’orchestre congolais sur place. Toutefois, dans le cadre de l’éducation intégrale qui nous était dispensée, nous participions à des activités culturelles pour représenter notre pays dans des manifestations regroupant différentes nationalités présentes sur l’île de la Jeunesse : Angola, Mozambique, Namibie, Éthiopie, Soudan, Cap-Vert, Nicaragua, Yémen, etc.

Passionné par un courant musical populaire des années 60-70 au Congo – le groupe vocal – qui a inspiré de nombreux artistes de ma génération, je me suis très vite distingué comme principal représentant de la République populaire du Congo (nom officiel à l’époque). J’ai participé à divers festivals, jouant de la guitare et de l’harmonica dans un style proche de celui de Mbahi Travins.

Ma première véritable formation musicale remonte à 1983, lorsque j’ai fondé, avec quelques camarades, le groupe vocal Les Patriotes, au sein de l’école du 5 février à Cuba. Progressivement, j’ai appris la guitare, puis intégré l’orchestre de la faculté de chimie à l’université, avec lequel j’ai donné plusieurs concerts. C’est à cette époque que j’ai découvert le format orchestral et que j’ai voulu approfondir mes connaissances.

En 5e année d’université, j’ai participé au concours Découvertes RFI 1995 depuis Cuba. Pour y faire face, j’ai collaboré avec l’orchestre local « Grupo Condado », une expérience décisive, complétée par des études de piano à l’institut pédagogique. De retour au pays en juillet 1995, j’ai fondé S.O.S SALSA le 27 août de la même année.

Pourquoi avoir choisi le nom S.O.S SALSA ?

Parce que les années 60 et 70 ont été l’âge d’or de la musique afro-cubaine. Par la suite, de nouveaux genres ont émergé – zouk, rap, soukous – reléguant peu à peu la salsa au second plan.
En créant S.O.S SALSA, nous avions pour ambition de « sauver la salsa » et de la remettre au goût du jour. Heureusement, du côté de l’Afrique de l’Ouest, naissait également l’orchestre Africando, ce qui a renforcé notre vision. Nous avons démarré sur les chapeaux de roues, jusqu’à devenir le groupe afro-cubain le plus populaire et spectaculaire d’Afrique centrale.
S.O.S SALSA, c’est tout simplement l’acronyme de « Sauvons la Salsa ».

Comment parveniez-vous à concilier études et musique ?

Cela n’a jamais posé problème, car notre priorité à Cuba restait les études. La musique, quant à elle, était une passion d’enfance que j’ai pu nourrir à distance du contrôle parental. Je m’y adonnais pendant mes temps libres, ce qui m’a permis de réussir brillamment mes études.
Je précise qu’il n’y avait à Cuba aucun projet de former un groupe d’anciens étudiants. Ce n’est qu’une fois rentré au pays que j’ai rassemblé d’anciens camarades, eux aussi rentrés avant moi. Ce fut une révélation avec les premiers titres comme « Somos Africanos » et « La Bamba », diffusés sur Télé Congo et Radio Congo.

L’orchestre va célébrer ses 30 ans d’existence. Quel bilan tirez-vous de ces trois décennies ? Et quelles perspectives pour l’avenir ?

En un mot : positif.
Avec cinq albums à succès et l’animation de trois banquets présidentiels (ce qui est rare), S.O.S SALSA a marqué les esprits. Le groupe a aussi parcouru la sous-région :

  • Libreville (1997) : participation au premier Festival des jeunes d’Afrique centrale pour l’UNESCO.
  • Lauréat du prix BCDA la même année.
  • Participant fidèle au FESPAM depuis 1996.
  • Deux fois lauréat du Tam-Tam d’Or.
  • Kinshasa (2013) : Nuit de la Francophonie au Stade des Martyrs.
  • Cabinda (2002) : participation au 25e anniversaire de l’indépendance de l’Angola.
  • Abidjan (2015) : invité de l’émission Afrique Étoile.
  • Bamako (2017) : invité de l’émission Tounka-Gouna (TV5 Monde) animée par Boncana Maïga.
  • Cotonou (2024) : participation à la célébration des 50 ans de carrière du maestro Boncana Maïga.

Nous préparons actuellement un documentaire retraçant l’histoire du groupe, un album best-of et comptons bien poursuivre nos activités avec le même professionnalisme.
Dans un environnement dominé par le ndombolo et la rumba congolaise, durer 30 ans relève de l’exploit. Beaucoup de groupes nés à la même époque ont disparu.

La configuration musicale actuelle vous oblige-t-elle à adapter votre style ?

Absolument pas. Bien au contraire, nous sommes fiers d’avoir misé dès 1995 sur la salsa made in Africa. Notre style s’est affirmé dans un paysage très concurrentiel.
Aujourd’hui, la plupart des orchestres nés à la même période ont disparu, ce qui nous conforte dans nos choix. Nous estimons que S.O.S SALSA contribue à combler le vide laissé par des géants comme José Missamou, Laba Sosseh ou Joseph Kabasele, du moins en Afrique centrale.

Un projet serait en cours entre S.O.S SALSA et Boncana Maïga, fondateur d’Africando. Que pouvez-vous nous en dire ?

Dans le football africain, certains noms sont incontournables : George Weah, Roger Milla, Didier Drogba, Samuel Eto’o…
En politique : Sékou Touré, Houphouët-Boigny, Marien Ngouabi, Thomas Sankara…
Mais en salsa africaine, un seul nom fait l’unanimité : Maestro Boncana Maïga.

Notre collaboration remonte à 2017 lorsqu’il a invité S.O.S SALSA, via son leader Romain Gardon NIMI, au festival Tounka-Gouna. Depuis, une complicité s’est installée entre nous. Nous sommes tous deux diplômés de Cuba, bien qu’à des époques différentes.

Le contact est resté permanent. En 2023, il m’a associé à l’hommage qui lui a été rendu à Cotonou, à l’hôtel Novotel Orisha, pour ses 50 ans de carrière.
D’autres projets sont sur la table… mais il est encore trop tôt pour en parler.

Ce qui est sûr, c’est que l’Afrique s’impose aujourd’hui dans le monde de la salsa, en y injectant la richesse de ses rythmes traditionnels et de ses langues maternelles, ce qui lui donne une identité unique et authentique.

Propos recueillis par Fredrich Günther Mbemba

Un commentaire sur « Congo/ Romain Gardon : « En créant l’orchestre S.O.S SALSA, l’ambition était de sauver la salsa et de lui redonner ses lettres de noblesse » »

  1. Je lis avec bonheur la perspicacité et l’objectivité avec lesquelles cette interview a été rendue, en ajoutant de la lumière aux projecteurs qu’elle fait braquer sur moi. Un vrai cadeau pour les 30ans.
    Romain Gardon NIMI,
    El Chappo, El Papa Salsa,
    El szñor de las mil teclas.

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