Institution de la musique congolaise au regard de tout ce qu’il lui a apporté et de sa longévité, Zaïko Langa Langa déroule son savoir-faire labellisé sur le mini-album Makinu. Le groupe porté par le septuagénaire Jossart Nyoka Longo continue de remplir sa fonction formatrice auprès des jeunes artistes.
Depuis ses débuts discographiques il y a 55 ans, tout juste après son acte de naissance le jour de Noël 1969, Zaïko Langa Langa a vu défiler toutes les évolutions technologiques qui ont profondément modifié l’industrie musicale, de l’enregistrement à l’écoute. Sans y être imperméable, la formation culte de la rumba congolaise a toujours maintenu son cap.
Céder aux sirènes de la modernité aurait été susceptible de lui faire perdre son identité. Ou son public. Alors que le streaming s’est imposé sur une partie du marché mondial, « en Afrique, beaucoup de gens n’ont pas cette possibilité et ne sont pas initiés à toutes ces innovations », observe avec lucidité Jossart Nyoka Longo, patron historique de la formation quinquagénaire. Soucieux de tenir compte de cette spécificité, il a prévu de faire fabriquer des CDs de Makinu, le nouveau projet du groupe, afin que ses chansons puissent être jouées dans les bars de Kinshasa et du pays.
S’affranchir du diktat commercial des formats
Déjà à l’époque de Nippon Banzaï, le chanteur – réélu récemment à la tête du conseil d’administration de la Société congolaise de droits d’auteur – avait fait preuve de pragmatisme, dans un autre registre : cherchant à satisfaire ceux qui « étaient impatients d’entrer sur la piste pour commencer à danser » mais aussi pour des questions de format radio, il n’avait pas hésité à écourter radicalement les enregistrements de la tournée au Japon en 1986 pour en placer le plus possible sur un 33 tours !
C’est probablement la seule fois que Zaïko a revu à la baisse la durée de ses morceaux. Se couler dans le moule qui prévaut aujourd’hui en studio, à savoir environ deux minutes et trente secondes, ne correspond pas à sa philosophie musicale qui s’affranchit de ces modes ou contraintes. En témoignent les quatre chansons de ce mini-album.
La présence des incontournables lots de dédicaces, qui illustrent ici à quel point la pratique du libanga peut aussi se fondre dans le décor musical, n’est pas la seule raison de cette générosité. Une autre tient aux textes : « Ce sont souvent des histoires vécues et il faut un peu de temps pour que les gens comprennent ce que nous racontons », justifie Jossart.
Au nom de la danse
Mais l’intention de Makinu n’est pas de cette nature. Ce disque-là est « beaucoup plus pour la danse, pour l’animation », poursuit-il. L’exemple est donné avec « Mbrouss », intitulé ainsi en référence au bruit d’un ballon de foot lorsque le joueur qui le reçoit le bloque sous la semelle – Jossart se souvient avoir vu Dominique Kabusa, ancien attaquant vedette de l’équipe nationale des Léopards, faire ce geste technique. De quoi imaginer une nouvelle chorégraphie, autre impératif pour tenter de marquer les esprits, et en faire même l’objet d’un challenge sur les réseaux sociaux, signe que Zaïko n’est pas déconnecté de son époque.
Parmi les trois autres chansons de ce nouveau projet discographique figure un remix de « Souvenir Masa ». Parue à l’origine en 1978 au recto et au verso d’un 45 tours, elle était également présente sur Tout Choc en 2002 puis en 2023 sur Awa Te, enregistrée en live à l’occasion des 70 ans de Jossart.
Ce classique du répertoire du groupe est né d’un déplacement à Lubumbashi. « J’étais tombé amoureux d’une dame qui était un peu plus âgée que moi, mais je n’ai pas eu la possibilité de la conquérir, vu sa situation matérielle », raconte le chanteur. Pourquoi une nouvelle version ? « Les désirs de nos fans sont des ordres », lâche-t-il en guise d’explication.
Le sens des responsabilités musicales
À travers cette reprise s’exprime une autre dimension de Zaïko Langa Langa : celle de la formation et de la transmission, à laquelle son fondateur reste attaché. Sa réputation de « troisième école de la rumba congolaise », après celle de Joseph Kabasele puis celle de Franco, résulte non seulement du nombre d’anciens membres qu’elle compte dans le paysage musical congolais, mais aussi de l’héritage qu’elle laisse. « Nous avons beaucoup innové », rappelle Jossart, selon lequel « il y a du Zaïko dans chaque groupe congolais ».
Pour illustrer son propos, il cite l’ex-soliste de la formation Félix Manuaku Waku qui « a introduit la distorsion dans le son de la guitare congolaise » sur la chanson « Tangi » en 1980, remis au goût du jour en 1992 par un autre instrumentiste du groupe, Chiro Chiro, sur « Poupa » dans l’album Jamais sans nous.
Les nouveaux musiciens et chanteurs dont il s’est entouré pour Makinu, et auxquels il a inculqué « les principes de la rumba congolaise », ont appris à se glisser dans les pas de leurs aînés. « Il n’y a pas de différence, ils interprètent de la même manière le répertoire ancien », assure Jossart, impeccable conservateur du patrimoine Zaïko Langa Langa.
Par Bertrand Lavaine
Zaïko Langa Langa Makinu (ProZal – Production Zaïko Langa-Langa) 2025